Julien I Chapters 43-44
Chapitre 43
Décisions
Un long silence suivit le récit de Yol. Chacun, à sa façon, avait besoin d'assimiler ce qui venait d'être révélé. Finalement, c'est Isabelle Berthier qui émergea la première de cette sorte de stupeur.
“Hé bien, il va nous falloir un moment pour digérer tout ça ! Bien sûr, je n'ai aucune envie de te voir repartir pour ce... cet endroit. Si j'ai bien compris, il y a là-bas des gens qui te veulent vraiment du mal. Et puis, je veux bien qu'on ait besoin de toi, mais j'ai quand même beaucoup de mal à croire qu'on ne puisse pas te remplacer. Mais s'il faut vraiment que tu y retournes, alors j'espère que tu nous emmèneras à... comment déjà ?
“Aleth, compléta Julien, surpris que sa mère, qu'il pensait bien dépourvue de tout esprit d'aventure, suggère une telle chose. Ça, c'est un peu difficile. Ugo, enfin... Yol peut dessiner un klirk. Il l'a déjà fait...
Le passeur dressa les oreilles et agita frénétiquement la queue. Il avait cet air caractéristique du chien auquel ''il ne manque que la parole''. C'était bien là le drame. L'effet aurait pu être du plus haut comique, mais Julien sentit les larmes monter brutalement et couler le long de son nez avant qu'il n'ait le temps de faire quoi que ce soit. Le spectacle d'un être aussi raffiné, intelligent et sensible qu'un Maître Passeur prisonnier du corps d'un animal, incapable de s'exprimer et réduit à remuer la queue par réflexe lui brisait le cœur. Il avait aimé Ugo, le chien, comme on aime un chien, justement. Mais Yol, le Passeur, n'avait pas hésité à tout sacrifier pour le retrouver, il avait vécu des années de torture dans ce corps inadapté et avait quand même fait en sorte de le renvoyer, lui qui n'avait même pas le souvenir de ce qu'il avait été, vers son destin de Maître des Neuf Mondes. Yol l'avait envoyé là-bas sans aucun espoir d'être un jour récompensé. Yol s'était sacrifié pour cet Empereur qu'il aimait, pour le garçon roux qu'il était devenu. Et ce que ce garçon éprouvait pour Yol n'avait plus rien de comparable avec l'affection un peu condescendante qu'il avait éprouvée pour Ugo.
“Maman, reprit-il après avoir ravalé la boule qui semblait bloquer sa gorge, c'est très difficile de faire passer plus d'une personne à la fois. Je ne sais pas si Yol et moi, on pourrait le faire. Il faudrait sans doute qu'on s'entraîne. Et puis, je ne sais pas trop ce qui m'attend quand je retournerai à Aleth. Ça risque d'être un peu...
“Dangereux ? C'est ça ?
“Ben oui. Mais, reprit-il aussitôt, il faut que j'y retourne. Là bas, sur Nüngen, ça doit être la panique.
“Oui, sans doute. Mais quand même, tu ne peux pas te lancer comme ça, au milieu d'une bataille que tu ne comprends pas ! Il y a des limites !
“Personne ne comprend ce qui se passe. Vous m'avez assez répété, toi et Papa que, dans la vie, il ne suffit pas de défendre ses droits, qu'on a aussi des devoirs. Moi, j'ai des devoirs là-bas.
“Oui, bien sûr, mais... Non, tu as raison. C'est seulement que j'ai peur. C'est pour ça que je veux que nous allions avec toi quand tu retourneras là-bas.
“Isabelle...
Jacques Berthier avait jusque là écouté en silence.
“Julien ne peut pas nous emmener. Il essaie de ne pas nous faire de peine, mais s'il doit partir, il s'en ira sans nous. Peut-être qu'un jour, quand toute cette histoire sera réglée, il s'arrangera pour nous donner de ses nouvelles. Je ne crois pas qu'on puisse lui en demander plus. Je pense qu'il vaut mieux le préciser tout de suite. Comme ça, on n'empoisonnera pas les quelques jours qui lui restent à passer avec nous en le forçant à se sentir coupable de ne pas nous dire la v érité.
“Merci Papa. De toute façon, il faut qu'on se prépare avant de partir. Yol a certainement des tas de choses à m'apprendre, et il faut choisir un endroit pour retourner là-bas. Ce serait idiot d'atterrir juste là où on pourrait nous attendre.
“Il faut aussi que je règle la question de ton retour avec la gendarmerie. Ça risque d'être un peu délicat, mais comme un de leurs gradés a suggéré que tu avais peut-être fait une fugue avec des hippies de passage... J'ai protesté farouchement, bien sûr, en assurant que tu étais trop jeune et que, de toute façon, ça n'était pas ton genre. Je crois que si je revenais, la queue entre les jambes, lui dire que finalement c'est lui qui avait raison, le mensonge passerait assez facilement. Il faudra que tu m'aides, et tu devras certainement subir une engueulade, mais dire la vérité dans un cas pareil ne me paraît pas possible. Tu pourrais avoir pris du LSD sans t'en rendre compte et avoir erré quelques jours avec eux avant de revenir. Bien sûr, tu ne te souviens pas vraiment de leurs noms ni de ce à quoi ils ressemblent.
oo0oo
Chapitre 44
Retour au R'hinz
En fait, mentir aux gendarmes ne fut pas nécessaire. Julien pensait pouvoir, sinon prendre son temps, du moins ne pas agir dans l'urgence, mais il dut bientôt revoir ses projets. Il avait remarqué que la belle livrée multicolore de Xarax virait peu à peu au gris terne et il ne fallait pas être un génie pour en déduire qu'il avait besoin de se nourrir.
La perspective de fournir son repas au haptir n'était guère engageante. Si la douleur était brève, elle n'en était pas moins fulgurante. Mais il ne pouvait pas laisser dépérir son compagnon aussi, sous prétexte d'aller prendre l'air Julien, accompagné de Yol et Xarax, s'en fut parmi les dunes jusqu'à un creux abrité du vent qu'il connaissait bien pour s'y être souvent retiré avec un bouquin dans ce qui semblait maintenant être une autre vie. Ils ne risquaient guère d'être dérangés. Depuis des années qu'il venait en vacances ici, il n'avait jamais vu personne s'aventurer dans ce coin perdu. Les gens préféraient de beaucoup la plage, ou bien les rochers où l'on trouvait crabes et coquillages. Xarax, bien sûr, avait montré beaucoup de réticence, mais il lui avait bien fallu convenir qu'il ne pourrait pas être d'une grande aide s'il se laissait dépérir. Julien avait aussi pensé à prendre une serviette pour éponger le sang qui risquait de couler si l'opération était aussi impressionnante que la première fois. Par bonheur, il faisait presque tiède et, par la grâce d'un rayon de soleil, il put se dépouiller entièrement de ses vêtements sans se mettre à claquer des dents.
“Voilà, comme ça, on ne risque pas d'avoir l'air de sortir d'un abattoir quand on rentrera à la maison. Je n'ai vraiment pas envie d'expliquer ça à Maman. D'ailleurs, depuis le temps que ça dure, cette histoire, je trouve qu'on aurait pu essayer de trouver un autre système.
“On a essayé. Ça ne marche pas.
“Bon, on en reparlera plus tard. Finissons-en. J'ai pris un gros caillou pour le tenir à bout de bras.
“Tu es sûr de vouloir le faire maintenant ? Xarax peut encore attendre un peu. Normalement, ça n'aurait pas été nécessaire avant plusieurs mois.
“On en a déjà discuté. Tu as dû t'épuiser pendant la traversée de l'En-Dehors. De toute façon, j'ai besoin d'un haptir en état de marche. Allons-y.
“N'oublie pas, quand la pierre tombe, tu dis ''Assez, Xarax''.
“Je me souviens, n'aie pas peur.
“Bien, maintenant, tu prends le ''Yel''.
De nouveau, Julien ressentit le changement subtil de ses perceptions. Mais alors que l'air, sur Nüngen était apparu fourmillant de petits points de lumière qui se précipitaient vers sa poitrine, seules quelques misérables lucioles accouraient ici.
“Xarax, qu'est-ce qui se passe ? Ça ne marche pas !