Julien I Chapter 47
Chapitre 67
Le monde est petit
“ Qu'est-ce que vous diriez de quelques jours de vacances ?”
Les trois garçons se retrouvaient enfin entre eux après le départ de leurs hôtes. La proposition de Julien paraissait étrangement hors de propos, mais Ambar n'était pas du genre à laisser passer une occasion.
“ Il faut que je demande à Tannder, mais si c'est toi qui proposes, il ne refusera certainement pas.”
“ Je suis d'accord aussi, bien sûr, enchaîna Niil. Mais j'aimerais savoir ce que ça cache.”
“ Tu n'aimerais pas voir du pays, visiter le monde ?”
“ D'accord, je viens avec vous. Je vais demander qu'on nous prépare un équipement de randonnée. Je vais aussi faire prévenir Aïn.”
Julien éclata de rire.
“ Évidemment, tu as deviné.”
“ C'est la pleine saison des tempêtes dans l'hémisphère nord. Tu ne nous invites sûrement pas à une croisière sur ton bateau. Alors je pense qu'on va aller récupérer une partie de ce trésor que garde ton allié Neh kyong. Même si c'est le début du printemps, du côté de l'ancienne cité de Tchenn Ril, il doit faire plutôt frais. En plus, pour ramener ce que tu comptes aller chercher il nous faudra certainement un chariot. Mais je pense que tu comptes en trouver un à Kardenang.”
“ Exactement. J'aurais bien laissé Tannder s'en occuper, mais je doute que Tchenn Ril accepte de recevoir qui que ce soit si je ne suis pas là. Alors, comme je dois y aller de toute façon, si je veux pouvoir financer les projets de Tahlil sans être obligé de mendier un emprunt ou de puiser dans des réserves impériales que je ne connais pas encore, j'ai pensé que ce serait une bonne occasion de nous offrir un petit voyage entre amis. On peut même inviter Karik, si vous voulez.”
“ Quand est-ce qu'on part ? Demanda Ambar.”
“ Je pense qu'on pourrait y aller après-demain, si rien n'arrive d'imprévu. Ça me laisse aussi le temps de cacher mes marques.”
“ Quoi ?!”
Les deux Ksantiris le regardaient, incrédules.
“ Vous ne vous imaginez tout-de-même pas que je vais arriver à Kardenang avec les Marques impériales ! On n'aurait pas un moment de paix et tout le monde serait à plat-ventre devant nous.”
“ Mais enfin ! Les Marques, on ne peut pas les enlever ! Sauf si on change de Famille ou si une Famille est déclarée éteinte !” Niil était partagé entre l'indignation et l'incompréhension.
“ C'est vrai. Mais l'Empereur ne passait pas tout son temps enfermé dans le Palais. Il allait partout où il voulait et personne ne le reconnaissait parce que ses Marques, c'est à dire les miennes, peuvent s'effacer et s'afficher à volonté. Le Maître des Traditions m'a expliqué comment faire, mais je ne l'ai encore jamais fait et je crois qu'il va falloir que j'aille le revoir pour qu'il m'aide cette fois-ci.”
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Grâce au klirk-cible maintenant fixé à demeure sur le roof, Aïn partit d'abord en éclaireur pour s'assurer que l'Isabelle était bien amarrée à quai dans le port de Kardenang. Il eut même la chance de trouver Tenntchouk qui s'affairait à l'une des mille petites tâches d'entretien perpétuellement en cours sur n'importe quel voilier. Il fut décidé qu'on attendrait encore deux heures, pour effectuer le transfert une fois la nuit tombée. Ce qui donnait aussi le temps de prévenir Maîtresse Nardik qu'elle aurait à accueillir des hôtes. L'auberge était d'ailleurs presque entièrement vide car la clientèle était principalement composée de marins de passage et la navigation était réduite à presque rien durant cette saison.
Une fois qu'ils furent tous réunis dans le bateau, Aïn prit congé et retourna vaquer à ses affaires. Il était convenu qu'il reviendrait dans cinq jours, puis chaque jour à partir de ce moment pour prendre des nouvelles et assurer le retour des voyageurs. Lorsque Julien eut présenté les deux marins très intimidés à ses amis, il s'en fut seul à l'auberge.
“ Anhel ! Dillik se précipita sur Julien. Gradik disait que tu allais revenir, mais il ne savait pas quand. Tu sais, maintenant, Gradik et Tenntchouk, ils ont un bateau et...”
“ Dillik, laisse Maître Anhel respirer et va plutôt chercher du seudja. Maîtresse Nardik s'approcha en souriant. Nous sommes heureux de vous revoir, Jeune Maître, Dillik a pleuré toute une journée après votre départ.”
“ Moi aussi, j'ai été bien triste de le quitter. C'est vraiment un gentil garçon, vous pouvez en être fière.”
“ Vous pourrez dire ça à son père, il est ici pour la saison des tempêtes. D'ailleurs, le voici, je suppose que Dillik n'a pas pu s'empêcher d'aller le chercher.”
“ Maître Anhel, je suis Dendjor, l'heureux époux de cette charmante dame qui n'arrête pas de me chanter vos louanges.”
“ Maître Navigateur, votre dame est trop bonne et je lui suis reconnaissant de m'avoir si aimablement accueilli. Dillik m'a dit que vous commandiez un gros trankenn de commerce ?”
“ C'est exact, ça permet à ma femme de ne pas avoir à me supporter trop longtemps à la fois.”
“ Aujourd'hui, je suis venu avec trois amis. Il seront ici dans quelques instants.”
Dillik apporta le seudja, infusion d'herbes aromatiques qui rappelait un thé fort et parfumé et qui se buvait traditionnellement chaud à la limite du supportable. Bientôt le reste de la troupe fit son entrée accompagné des matelots qui avaient maintenant un clos réservé à l'année.
“ Honorables Hôtes, voici mes amis, le Noble Sire Niil, des Ksantiris et son frère, le Noble Fils Ambar ainsi que l'Honorable Karik shel Tannder.”
Niil prit la parole, ainsi qu'il le devait, pour établir les règles de courtoisie :
“ Honorables Hôtes, nous sommes ici invités par l'Honorable Ju... Jeune Maître Anhel que nous avons le bonheur de compter parmi nos plus chers amis. Nous vous serons reconnaissants de nous traiter ainsi que vous l'avez traité lui-même et de bien vouloir nous dispenser d'employer le haut-parler. Maintenant, si cela vous est possible, nous aimerions tous goûter à cette cuisine dont Anhel nous a tant vanté les mérites.”
Dendjor s'inclina.
“ Noble Sire, peut-être accepteriez-vous de boire à la mémoire de votre très regretté Père ? Sire Ylavan était aimé de tous, et j'ai eu l'honneur de servir une saison comme aide-pilote sur le Trankenn Premier.”
Le rappel inattendu de cette mort et l'hommage spontané du marin firent brusquement monter les larmes aux yeux de Niil qui se contenta de hocher la tête alors qu'on apportait une carafe de ratchouk et des petits verres pour tout le monde.
“ Puisse Ylavan voguer à jamais parmi les Îles Bienheureuses ! s'écria Dendjor.”
“ À jamais ! répondit l'assemblée, et chacun vida son verre.”
Le repas fut digne de la réputation de la cuisinière et maîtresse Nardik rosit de plaisir lorsque Niil la fit appeler à la fin du repas pour la féliciter. Le service était assuré par Dillik et sa sœur qui s'enhardit jusqu'à se glisser près de Julien pour lui donner un baiser et le remercier encore de la poupée merveilleuse. Mais à part cela, il était clair que Julien était la propriété exclusive de Dillik qui ne laissait à personne le soin de veiller à remplir son verre ou changer son assiette. Vers la fin du repas, lui aussi s'aventura à lui murmurer quelques mots au creux de l'oreille :
“ Je peux venir avec toi, pour cette nuit ? Maman a dit que je pouvais.”
Julien attendait la question depuis son arrivée à l'auberge et sa réponse était toute prête :
“ Ce n'est pas à moi qu'il faut demander ça, c'est au Noble Fils Ambar. D'habitude, je dors avec lui. Mais si tu le lui demandes gentiment, je pense qu'il trouvera un moyen de s'arranger.”
Un signe de l'importance que Dillik attachait à cette nuit passée avec Julien fut qu'il n'eut que quelques secondes d'hésitation avant de se tourner vers Ambar, qui se tenait juste à sa droite, pour dire doucement :
“ Noble Sire, l'Honorable Jeune Maître, il me dit que c'est à vous qu'il faut que je demande la permission pour dormir avec lui cette nuit.”
Ambar réussit à répondre sans perdre son sérieux :
“ En effet. Mais d'abord, je veux savoir une chose.”
“ Oui, Noble Sire ?”
“ Est-ce que le lit est assez grand pour nous trois ?”
Comme le gamin le regardait, bouche bée, Ambar se fendit de son meilleur sourire et reprit :
“ Bien sûr que tu peux passer la nuit avec Anhel. Mais j'aimerais bien y être aussi, si ça ne t'ennuie pas trop. Je veux bien le partager, mais je dors mal s'il n'est pas avec moi. Alors, tu me donnes ta permission ?”
On ne résistait pas au sourire d'Ambar, Dillik se détendit :
“ Je ne voudrais pas vous priver d'Anhel, Noble Sire. Et puis on fait des vraiment beaux rêves, près de lui.”
“ C'est vrai. À tout-à-l'heure, alors.”
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En tant que Noble Sire, Niil hérita, avec Karik, du meilleur clos de la maison, celui que Julien avait occupé lors de son premier séjour. Mais celui que se partagèrent les trois autres était tout-à-fait confortable et le lit d'une largeur amplement suffisante. Il avaient, bien-entendu, l'usage de la salle d'eau familiale et, après des ablutions plutôt joyeuses, il n'était plus question entre eux du moindre protocole. Fasciné par les marques argentées d'Ambar, Dillik en entreprit une exploration exhaustive et chatouilleuse.
“ C'est joli tes Marques. Et ça va vraiment partout. Tu les as depuis que tu es né ?”
“ Non, en fait, je ne les ai pas depuis longtemps. C'est Niil qui m'a fait devenir un Ksantiri. C'est aussi lui qui m'a transmis les Marques.”
“ On peut faire ça ? Ça veut dire que tu n'es pas...?”
“ Dillik, intervint Julien, il y a bien des choses que tu ne sais pas encore, mais crois-moi, Ambar n'est vraiment pas n'importe qui.”
“ C'est pas ce que je voulais dire.”
“ C'est bien.”
“ Vous êtes amis, tous les deux ?”
“ Oui.”
“ Amis pour de vrai ?”
“ Oui.”
“ Et ça vous dérange pas, que je dorme avec vous ?”
Julien jeta un coup d'œil à Ambar qui souriait benoîtement, ravi de l'avoir entendu avouer tout haut ce qui n'était jusqu'à présent qu'implicite.
“ Bien sûr que non. Je t'aime bien, et je crois qu'Ambar aussi t'aime bien. Tu peux être notre ami à tous les deux, si tu veux.”
“ C'est pas pareil.”
“ Non, mais c'est presque aussi bien, en attendant que tu rencontres toi aussi ton ami pour de vrai.”
“ Tu crois que ça arrivera ?”
“ J'en suis sûr.”
“ Et... Tu crois qu'on peut avoir un ami qui soit pas... Enfin, qui soit pas un garçon ?”
“ Une fille ?”
“ Non !”
“ Un homme ?”
“ Non, pas comme ça. Quelqu'un qui soit pas un homme, ni une femme, ni rien.”
“ Tu veux dire quelqu'un qui ne soit pas humain ?”
Dillik hocha la tête.
“ Ça y est ! S'exclama Ambar, je sais ce qu'il veut dire. Il voudrait un ami haptir, comme le garçon de l'histoire que tu lui as racontée. Le garçon qui fabriquait des cerf-volants. C'est ça, Dillik ?”
Le gamin baissa la tête et rougit. Julien se fit la réflexion que décidément, sa confusion était plutôt inattendue de la part de quelqu'un qui, trois minutes plus tôt, manipulait sans la moindre gêne les parties les plus charmantes d'Ambar. Il fit de son mieux pour répondre franchement :
“ Je pense que c'est possible. Mais, tu sais, les haptirs ne voyagent pratiquement pas. Il y a vraiment très peu de chances pour que tu en rencontres un. Et même si ça t'arrivait, il faudrait encore qu'il ne te tue pas immédiatement. Mais, pourquoi veux-tu avoir un haptir pour ami ?”
“ Je ne sais pas... Je crois que c'est ce rêve. Tu sais, c'était pas seulement que je volais. J'étais un haptir. Et... Vous allez pas vous moquer de moi ?”
“ Tu peux être certain que non.”
“ Ben...” son front se plissa sous l'effort qu'il faisait pour mettre en mots une impression si étrange, “en même temps c'était comme si le haptir c'était quelqu'un d'autre. Quelqu'un que j'avais jamais rencontré, mais que je connaissais. Enfin, non... Je le connaissais pas mais... Je suis sûr que le haptir, dans mon rêve, il... C'était comme mon frère. Plus que mon frère. Et depuis, j'ai pas arrêté d'y penser. Toutes les nuits, quand je m'endors, je fais des souhaits pour rêver encore de lui, mais ça n'arrive jamais.”
“ Tu en as parlé avec tes parents ?”
“ Je leur ai raconté mon rêve, bien sûr. Mais le reste, je leur ai pas dit. Ils comprendraient pas. Mais toi, tu comprends, hein ?”
“ Oui, je crois que je comprends.”
“ Alors, tu crois que je pourrai aller chez les haptirs, quand je serai grand ? Ils voyagent pas, mais moi, peut-être que si un Noble Sire m'emmène avec lui... ajouta-t-il avec un regard vers Ambar.”
“ Tu sais, même un Noble Sire comme Ambar ne peut pas aller se promener comme ça sur Kretzlal. Je crois que pour l'instant, il va falloir que tu te contentes de nous. Ambar va te faire faire ton pipi du soir, je suis certain que ça te plaira.”
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“ Xarax.”
Dans la lumière faible et douce dispensée par la veilleuse, le haptir surgit de sous le lit et vint s'installer sur l'oreiller de Julien. Tout près, à gauche, on percevait le souffle régulier et curieusement synchrone d'Ambar et Dillik enlacés dans le sommeil.
“ Qu'est-ce que tu as fait à Dillik ?”
“ Xarax n'a rien ''fait'', il semble que quelque chose soit arrivé tout seul.”
“ Tu peux peut-être essayer de m'expliquer ?”
“ Un lien s'est formé entre le garçon et Xarax. Xarax a commis une imprudence quand il lui a fait revivre ce souvenir de vol au-dessus du Palais. Xarax l'a revécu avec lui et Xarax était heureux.”
“ Il n'y a sûrement rien de mal à ça.”
“ Mais Xarax n'était pas seulement heureux, il était heureux du bonheur de Dillik. Et ce que Dillik a dit, c'est aussi vrai pour moi.”
“ Je ne comprends pas très bien.”
“ Ce que Dillik a ressenti pour moi, je l'ai ressenti pour lui. J'ai pensé que cela s'effacerait, mais Xarax continue de vouloir plus que tout faire un avec Dillik.”
Dans l'ombre, julien fronça les sourcils : jamais encore il n'avait surpris le haptir à parler de lui-même autrement qu'à la troisième personne.
“ Tu veux dire que tu...”
“ Xarax veut dire que j'aime Dillik ! Et que je n'y peux rien. Je pourrais effacer les souvenirs de l'enfant. Je pourrais faire qu'il ne m'aime plus. Mais je ne veux pas. Xarax ne peut pas ! Et je suis malheureux. Julien croit peut-être que Xarax n'est qu'un esclave de l'Empereur, une extension de ses pouvoirs, une arme commode et terrible pour sa protection. Mais Xarax vient de s'apercevoir que... Je viens de m'apercevoir que j'existais autrement, que la fréquentation des humains avait changé bien des choses en profondeur dans la lignée des Haptirs de l'Empereur. Ce genre d'attachement n'existe pas chez les haptirs. J'ai été contaminé par les humains, sans doute. Et même si c'est ridicule, je crois que je ne le regrette pas.”
Julien était presque aussi troublé par les incohérences grammaticales de Xarax que par la nature même de ses révélations, mais il décida de s'abstenir, pour l'instant, de les commenter.
“ Xarax. Mon ami Xarax. Je ne vais pas te dire que c'est ridicule. Je crois plutôt que c'est une très belle chose, qui t'arrive là. Et je ne t'ai jamais considéré comme un esclave, ou un simple garde du corps. Mais il faut qu'on trouve une solution. On ne peut pas laisser Dillik courir toute sa vie derrière un rêve. Et je ne veux pas non plus que tu sois malheureux. Tu aurais dû me parler de ça plus tôt. Je suis ton ami, moi aussi. Même si ce n'est pas de la même façon.”
“ Xarax ne voulait pas que Julien pense qu'il devenait faible.”
“ Ça n'est pas de la faiblesse. Je crois au contraire que ça peut te rendre meilleur, et plus fort encore. Maintenant, il faut décider de ce qu'on va faire.”
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Le petit déjeuner terminé, Julien s'en fut trouver Maîtresse Nardik pour solliciter une faveur :
“ Maîtresse, je sais que Dillik est censé aller voir le précepteur durant la matinée, mais j'aimerais que vous le laissiez venir avec Sire Ambar et moi pour une promenade dans les environs.”
“ Jeune Maître, vous savez bien que quand vous souriez comme ça, je ne peux rien vous refuser. Et puis, après tout, ajouta-t-elle avec un clin d'œil, le Noble Fils Ambar, des Ksantiris ordonne. Qui aurait le front de refuser ?”
Une demi-heure plus tard, ils parvenaient à l'endroit où ils avaient l'autre fois fait s'élever le cerf-volant ''magique''. À leurs pieds s'étalait le petit port, bien abrité de la grande houle annonciatrice de la prochaine tempête.
“ Dillik, dit julien en s'arrêtant pour contempler la vue, tu veux toujours rencontrer un haptir ?”
“ Bien sûr !”
“ Eh bien, tu as de la chance, il y en a justement un qui visite Dvârinn en ce moment.”
Dillik lui lança un regard aigu.
“ Tu te moques de moi ?”
“ Est-ce que tu m'en crois capable ?”
“ Euh... Non.”
“ Bien. Donc, il se trouve qu'il y a un haptir sur Dvârinn en ce moment. Le problème, c'est que ce n'est pas n'importe quel haptir. C'est le Haptir de l'Empereur.”
“ L'Empereur a un Haptir ?!”
“ Oui. Enfin, il ne le possède pas, comme un animal domestique. C'est un ami et un conseiller de l'Empereur.”
“ Là, tu me fais courir.”
“ Réfléchis. Pourquoi est-ce que je voudrais te faire une chose pareille ? Est-ce que je suis quelqu'un de méchant ?”
“ Non !”
“ Alors ?”
“ Alors ce que tu me dis, c'est vrai.”
“ À la bonne heure ! Donc, ce haptir est le Haptir de l'Empereur et il voyage en secret. Il veut bien te rencontrer, parce que tu aimes tant les haptirs. Mais il ne faut en parler à personne.”
“ Tu lui as parlé ?! Toi ?!”
“ Oui.”
“ Tu connais un haptir ?!”
“ Ça n'a rien d'extraordinaire. Toi aussi, bientôt, tu vas en connaître un.”
“ Mais, pourquoi tu m'as rien dit ?!
Le ton de reproche peiné aurait fendu un cœur de pierre.
“ Je ne t'ai rien dit pour la même raison que tu ne diras rien à personne, toi non plus. C'est un secret. Un vrai secret.”
“ C'est vrai, je comprends.”
“ Si tu le rencontres, tu ne pourras jamais en parler. Ou alors, il te faudra sa permission, ou bien celle de l'Empereur.”
“ L'Empereur sait que je vais voir son haptir ?”
“ Oui.”
“ Mais, comment il peut le savoir ?”
“ Ça, c'est une autre histoire. Ce qui compte, pour l'instant, c'est de savoir si tu es d'accord. Il n'est pas question d'aller te vanter de ça auprès de tes copains ou même de tes parents. Ou encore de ta petite sœur. Réfléchis avant de répondre. Ça n'a rien d'un jeu. Si tu veux bien garder le secret, il t'aidera. Il pourrait même t'empêcher de parler, s'il voulait, mais il ne veut pas. Alors ?”
“ Je pourrai quand même en parler avec toi et Ambar ?
“ Oui.”
“ Alors je veux le voir. Je promets de...”
“ Il ne te demande pas de promettre quoi que ce soit. Contente-toi d'essayer vraiment de ne rien dire. Jamais.”
“ Bon. J'essaierai vraiment. Et quand est-ce que je pourrai le voir ?”
“ Tout-de-suite, il te suffit de l'appeler. Son nom, c'est Xarax.”
“ Comme mon cerf-volant ! C'est pour ça que tu voulais que je l'appelle comme ça.”
“ Exactement. Appelle-le, maintenant.”
“ Xarax !”
Vrombissant comme un énorme frelon, Xarax fondit sur eux. Il s'était tenu jusque là invisible dans l'éclat du soleil. Au dernier instant, alors que Julien lui-même se demandait s'il n'allait pas les percuter, il ralentit jusqu'à planer comme une feuille morte, laissant admirer ses couleurs cent fois plus éclatantes que celles de sa réplique de soie, puis il se posa en douceur sur l'épaule de Julien.
“ Dillik, je te présente l'Honorable Xarax, Haptir et Ami de l'Empereur.”
Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, le garçon était l'image même de la stupeur et il lui fallut une bonne dizaine de secondes pour pouvoir répondre.
“ Honorable Xarax, je vous remercie d'être venu.”
“ Xarax dit qu'il est très heureux de pouvoir te rencontrer ici. Mais que la conversation serait plus facile si tu acceptais qu'il s'installe sur ton épaule.”
“ Bien sûr, vous pouvez venir sur moi, si vous voulez.”
Dillik avait parlé en regardant tout droit dans les rubis effrayants des yeux du haptir qui franchit aussitôt, d'un bon léger, la distance qui le séparait de l'enfant et s'installa dans sa posture habituelle, sa longue queue lovée autour de son cou. Quelques secondes plus tard, le visage de Dillik s'éclaira d'un grand sourire étonné :
“ C'est lui ! C'est mon ami ! C'est le haptir de mon rêve !”
“ Le monde est petit, hein ? Ambar et moi, on va vous laisser et aller faire un tour. Je suis sûr que vous avez plein de choses à vous dire.”
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